Contrairement à ce que soutiennent certaines critiques, l'éthique du care n'est pas l'expression d'expériences propres aux catégories de femmes socialement et racialement privilégiées, que les conditions d'existence "disposent" à se soucier du bien-être de leurs proches. Si la distinction entre souci des autres et souci de la survie peut faire sens, c'est qu'elle recoupe en réalité une dissociation problématique du care en deux éléments, un care émotionnel qui serait l'apanage des femmes des classes supérieures et moyennes et un care de service, recouvrant un ensemble de tâches domestiques et de soins, acheté à bas prix aux femmes de couleur, aux migrantes et aux femmes dépourvues de qualification. Cette division sociale et raciale du travail de care trouve un point d'appui dans la dissociation du care en deux composantes (la dimension de disposition et d'affectivité, et la dimension active de travail) qui renforcent le paradigme de la relation duelle. Nombreux sont les commentaires qui ont souligné les ressemblances ente cette éthique et le point de vue développé par les Noirs états-uniens, et plus encore par certains courants de féministes noires [1]. Ce qui rapproche certaines féministes noires de l'éthique du care, c'est bien une épistémologie qui s'appuie sur les savoirs de l'expérience personnelle, les reconnaît et privilégie la connaissance élaborée et validée de façon dialogique [2].
Patricia Paperman, D'une voix discordante : désentimentaliser le care, démoraliser l'éthique in Qu'est ce que le care ?, Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Pascale Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman (dir.), Paris, Petite bibliothèque Payot, 2009, p. 108-109.
[1] Patricia Hill Collins, "La construction sociale de la pensée féministe noire", in Black Feminism. Anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000, textes choisis et présentés par Elsa Dorlin, paris, L'Harmattan, 2008.
[2] Patricia Hill Collins, "Transforming the inner circle : Dorothy Smith's challenge to sociological theory", Sociological Theory, vol. 10, n°1, printemps 1992, p. 73-80.