Je ne crois pas avoir laissé entendre d'une quelconque manière qu'il pouvait y avoir quelque vertu immédiatement révolutionnaire ("par nature" en quelque sorte) dans le fait de travailler ou pas. Je veux simplement insister sur le fait que la situation d'exclus du processus de production des conditions sociales d'existence commune ne prédispose pas à une pensée sur la modification de la production des conditions matérielles. C'est pourtant lorsqu'un mouvement social parvient à se poser concrètement ces questions et à imaginer des actions ciblées en ce sens qu'il cesse d'être l'expression de ceci ou de cela pour devenir une force de mise en mouvement et pour exprimer autre chose que son existence propre et le tort qui lui est fait.
L'exclusion de la production a pour première conséquence l'exclusion de la sphère de l'échange donc aussi de l'autorité que confère le fait d'être socialement actif dans la production de la richesse collective. Le fait d'être exclus de la production — mais pas de la consommation, grâce aux allocations diverses — fait des jeunes des banlieues, plus exclus encore que les autres, des immatures maintenus dans un statut d'enfants, hors de tout échange précisément, qui consomment et ne produisent pas. Et cette situation implique un rapport de dépendance mentale (y compris dans la révolte) identique à celle de l'enfant dans la famille. Ce qui exige, pour aboutir à une pensée à hauteur d'insurrection, une échappée hors de cette condition mentale infantilisante d'immatures assistés. C'est là une situation nouvelle en France et ailleurs, et décisive pour ce qui nous occupe.
Jean-Paul Curnier, in Nathalie Quintane, Tomates, Paris, P.O.L, 2010, p. 124-125