Mais pour les Indiens, ces sources étaient un bienfait, une zone peuplée d'esprits, ils aimaient s'y réunir lors des solstices, les plus aisés d'entre eux laissant alors leurs 4 x 4 rutilants à l'entrée du massif, à hauteur du belvédère et finissant la route à pied. Tous en connaissaient l'existence, le chemin. Le type avait donc logiquement choisi cette clairière pour leur enseigner l'archéologie, la botanique, leur pharmacopée et leur langue. Il misait sur les femmes, les plus régulières, certaines traversant désormais tout Coca pour venir l'écouter. Il avait sa théorie : former les Indiens à être leurs propres archéologues pour qu'ils puissent se réapproprier leurs tombes — disséminées par milliers des rivages de la Baie aux confins des hautes plaines, sous les parkings des supermarchés, le long des autoroutes, dans les fondations des buildings — et renommer leur territoire, se servir des technologies qui les écartaient pour renverser la situation. Il était révolté et brisé à la fois, un fonctionnement en dents de scie qui alternait le surgissement et la dépression, sa ferveur violente tranchait sur l'ambiance paisible de la clairière, le caractère pacifique de ce pique-nique indien.
Maylis de Kerangal, Naissance d'un pont, Paris, Verticales Gallimard, 2010, p. 301-302.