L'autoroute demeura presque déserte. De loin en loin, à peu près tous les cent kilomètres, on avait disposé des manches à air à larges rayures blanches et rouges qui donnaient la mesure du vent faible en se balançant mollement le long de leur mât comme des trompes. Vers Tournus, des pictogrammes annonçaient un restaurant d'autoroute qui enjambait le trafic en arc de triomphe schématique, anguleux, vitré, se profilant au fond d'une perspective de voies séparées par des garde-fous métalliques, semblables aux rubans parallèles d'une Fermeture Éclair. Georges et Gibbs convinrent de s'y arrêter : la 204 dévia, vint se ranger sur un parking jonché de petits débris, de contenus de cendriers, coquilles d'oranges et peaux d'oeufs, boîtes métalliques écrasées, réduites à l'état de crêpes difformes sur lesquelles se chevauchaient des noms de boissons concurrentes à peine déchiffrables.

Jean Echenoz, Cherokee [1983], Paris, Les éditions de Minuit Mdouble, 2003, p. 120.