D'habitude à Montfort après le dîner, le sommeil étant inenvisageable, la nuit ne fait alors que commencer. L'exiguïté de son domicile condense une infinité d'activités possibles, même si celles-ci ne durent qu'un instant ou se réduisent à des velléités. De la cuisine au salon, via la bibliothèque et le piano, un dernier petit tour dans le jardin, Ravel peut avoir fort à faire même s'il n'en fait rien, jusqu'à ce qu'il faille bien finir par aller se coucher. Mais ici nulle distraction, nulle tâche, nulle attache, nulle envie non plus d'aller tuer le temps dans les bars du France ni dans ses salles de jeu. Quoique sa cabine soit bien sûr plus petite que la maison de Montfort, elle produit un effet doublement inverse : trop vaste en un sens, elle donne en même temps à son corps la mesure exacte que vous accorde une chambre d'hôpital : place principale mais atrophiée, sans rien d'autre à quoi s'accrocher que soi-même : on se sent encore dans un sanatorium flottant.
Jean Echenoz, Ravel, Paris, Les Éditions de Minuit, 2006, p. 31-32.