Je lui raconte à mon tour ce qui s'est passé l'avant-veille dans ma chambre : j'avais bien regardé ma chambre et j'avais déplacé divers objets, comme en cachette, et en accord avec la vision qu'elle en aurait eue elle, si elle était venue, et aussi en accord avec sa place entre eux, elle mouvante, entre eux immobiles. Je les aies imaginés déplacés de si nombreuses fois qu'une souffrance s'est emparée de moi, une sorte de malheur s'est logé dans mes mains, à ne pas pouvoir décider de la place exacte de ces objets par rapport à sa vie. J'ai abandonné la partie, je n'ai plus essayé de la mettre vivante dans la mort des choses.
Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V. Stein [1964], Paris, Folio Gallimard, 2015, p. 172.