Ne pourrait-on pas dire pourtant que Duchamp a compris qu'une œuvre d'art n'existe, en tant que telle, que durant son processus d'élaboration et qu'elle devient aussitôt après un objet de propriété bourgeois ?
Beuys : Comment ça ? Lorsqu'un tableau de Rembrandt est accroché au mur, ça ne fait pas de différence qu'il soit accroché à un mur de bourgeois ou à un mur de musée. Quand il est dans la cave, il ne perd pas sa qualité d'œuvre ; il conserve sa fonction absolue. Ce n'est pas seulement une œuvre d'art ou, disons plutôt, une œuvre que la créativité de Rembrandt a produite — ça ne veut pas dire que tout un chacun doit admirer le tableau — c'est simplement une substance qui se transmet à travers le temps. C'est aussi quelque chose de ce type-là qui a influencé le développement de la conscience humaine. Il n'est pas toujours nécessaire qu'une œuvre d'art soit accrochée à un mur. Je ne vois vraiment pas pourquoi une œuvre d'art devrait être moins belle quand elle est accrochée dans une maison bourgeoise plutôt que dans un musée.
Joseph Beuys, "La mort me tient en éveil" [interview en 1973 par Achille Bonita Oliva, publiée en 1986], in Par la présente, je n'appartiens plus à l'art, trad. Olivier Mannoni et Pierre Borasa, Paris, L'arche, 1988, p. 85-86.