Nous ne pouvons que rapprocher ici le goût de l'ancien de la passion collectrice [1] : il y a des affinités profondes entre les deux, dans la régression narcissique, dans le système d'élision du temps, dans la maîtrise imaginaire de la naissance et de la mort. Cependant il faut distinguer dans la mythologie de l'objet ancien deux aspects : la nostalgie des origines et l'obsession d'authenticité. Les deux me semblent découler du rappel mythique de la naissance que constitue l'objet ancien dans sa clôture temporelle — être né impliquant le fait d'avoir eu un père et une mère. L'involution vers les sources est évidemment la régression vers la mère : plus vieux sont les objets, plus ils nous rapprochent d'une ère antérieure, de la "divinité", de la nature, des connaissances primitives, etc. Cette sorte de mystique existe déjà, dit Maurice Rheims, dans le Haut Moyen Age : un bronze ou une intaille grecs couverts de signes païens revêtent, aux yeux du chrétien du IXe, des vertus magiques. Autre chose est, strictement parlant, l'exigence d'authenticité, qui se traduit par une obsession de certitude : celle de l'origine de l'œuvre, de sa date, de son auteur, de sa signature. Le simple fait que tel objet ait appartenu à quelqu'un de célèbre, de puissant, lui confère une valeur. La fascination de l'objet artisanal lui vient de ce qu'il est passé par la main de quelqu'un, dont le travail y est encore inscrit : c'est la fascination de ce qui a été crée (et qui pour cela est unique, puisque le moment de la trace créatrice, depuis l'empreinte réelle jusqu'à la signature, est aussi celle de la filiation et de la transcendance paternelle. L'authenticité vient toujours du Père : c'est lui la source de la valeur. Et c'est cette filiation sublime que l'objet ancien suscite à l'imagination en même temps que l'involution dans le sein de la mère.

Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 107-108.

[1] Voir plus loin : "La collection".