Habitués à vivre dans des chambres insalubres où ils ne faisaient que dormir, et à passer leurs journées dans des cafés, il leur fallut longtemps pour s'apercevoir que les fonctions les plus banales de la vie de tous les jours — dormir, manger, lire, bavarder, se laver — exigeaient chacune un espace spécifique, dont l'absence notoire commença dès lors à se faire sentir. Ils se consolèrent de leur mieux, se félicitant de l'excellence du quartier, de la proximité de la rue Mouffetard et du Jardin des Plantes, du calme de la rue, du cachet de leurs plafond bas, et de la splendeur des arbres et de la cour tout au long des saisons ; mais, à l'intérieur, tout commençait à crouler sous l'amoncellement des objets, des meubles, des livres, des assiettes, des paperasses, des bouteilles vides. Une guerre d'usure commençait dont ils ne sortiraient jamais vainqueurs.
Georges Perec, Les choses [1965], Paris, 10/18, 2014, p. 18.