Cette séance que rapporte le vice-président de la Geological Society de Londres, le révérend Thomas Wiltshire, révèle les techniques d'un faussaire : Flint Jack est un escroc, unanimement dénoncé pour faire un commerce malhonnête de son art. Cependant, la reproduction d'outils de pierre peut revêtir une tout autre signification : elle réalise une intention de connaissance, une visée heuristique. Elle est ainsi devenue au cours du XXe siècle partie intégrante du travail scientifique du préhistorien : s'il est impossible d'observer directement l'activité qui les a produits, l'opération qui consiste à reproduire les outils lithiques est aujourd'hui une méthode scientifique — peut-être même la meilleure manière de connaître les savoirs et les savoir-faire des Hommes du passé. Sans doute, le point d'aboutissement ultime idéal, en est la reproduction à l'identique de l'outil préhistorique : pourtant, ce qui est visé, c'est moins l'objet lui-même que l'opération de sa production. Ce qui est au centre de l'étude, ce sont les gestes, et à travers eux les choix matériels, les capacités manuelles et intellectuelles, les procédures pratiques et cognitives à l'œuvre dans la production d'outils ou d'œuvres artistiques. Une telle approche prétend se situer à l'intérieur de la pensée technique pour éclairer les modes de vie, les cultures, voire l'organisation sociale des Hommes du passé lointain.

Claudine Cohen, La méthode de Zadig, La trace, le fossile, la preuve, Paris, Seuil, 2011, p. 254-255.