Cette évolution résulte de la structure concentrique des troncs : le cœur et le duramen, qui forment le bois parfait au centre du fût, sont entourés de l'aubier, plus clair et plus tendre, encore en formation. C'est en son cœur que le bois est le plus ancien et a atteint son stade ultime de développement : il est stable, compact et très résistant. À l'inverse, plus on s'écarte du centre plus le bois est tendre et instable. Sous l'effet du temps , de la chaleur et des variations hygrométrique, il va sécher, durcir, se rétracter et se déformer tout au long de sa vie dans le bâtiment. Même abattu, coupé, cloué, chargé, le bois travaille. Or, le cœur se trouve rarement au centre d'une poutre. Par le jeu de sciage, qui débite le plus souvent plusieurs pièces dans un mème fût, le bois de cœur se trouve déplacé le long d'une face, ou contre une arête. La pièce de bois doit être orientée en anticipant les déformations à venir : la face sur laquelle se trouve le cœur bougera peu, tandis que la face opposée rétractera. Si la pièce est mal orientée, et que le bois tendre est tourné vers le haut, c'est-à-dire vers la charge et vers la chaleur directe du soleil, cet effet de rétractation produira un fléchissement qui compromettra la résistance de l'ouvrage.
C'est une règle générale dont on vérifie très vite la pertinence sur des pièces de bois directement exposées aux intempéries. Une lame de terrasse dont le cœur est tourné vers le sol, par exemple, coffine à vue d'œil : en l'espace de quelques saisons, on verra sa surface lisse se creuser et se transformer en un excellent réceptacle pour l'eau de pluie. Quelques années plus tard, les passages de l'eau auront accéléré son pourrissement et elle devra être remplacée prématurément.
Un adage lumineux, que l'on entend souvent sur les chantiers, guide le travail des charpentières et charpentiers. C'est une règle toute simple selon laquelle il faut orienter la partie la plus stable vers le haut, dans la direction des contraintes. Quatre mots, qui en disent long sur le métier de charpentier : le cœur au soleil.

Arthur Lochmann, La vie solide, La charpente comme éthique du faire, Paris, Payot, 2019, p. 29-30.