Nous sortons du bassin et virons sur la Sainte-Bob pour remonter jusqu'au filets. On s'est tellement démenés depuis ce matin que les plats-bords sont luisants comme du bois neuf et la bobine du treuil comme de l'acier poli. On ne parle plus, on fume des cigarettes, on fait ce qu'on a à faire. Quand on resserre les filets, une masse blanchâtre se met à gonfler à la surface et on voit tout ces poissons en train de crever, glissant les uns sur les autres avec des bruits de linge mouillé qu'on claquerait sur un mur. Il y a les ombres de quelques gars qui ont sauté sur la rive pour aider à la manœuvre et repousser du bois mort qui se met à dériver en lente procession, telles des pirogues abandonnées.
Philippe Djian, Criminels, Paris, Folio Gallimard, 1997, p. 84.