À la question : "Si vous vous trouviez dans une classe de philosophie, telle qu'elle est actuellement, qu'enseigneriez-vous[1] ?", il répondait : "La première précaution que je prendrais […] ce serait de m'acheter le masque le plus perfectionné que je puisse imaginer et le plus loin de ma physionomie normale, de manière à ce que mes élèves ne me reconnaissent pas." Le masque, chez Foucault, n'est pas symbole de dissimulation. Il est ce par quoi l'auteur derrière son œuvre définit une façon de déjouer et de réfuter la nature aristocratique de l'auteur, avec ses "déclarations de tyrannie", qui font la loi au lecteur[2]. L'unité du discours, qu'il soit littéraire, scientifique ou philosophique, est pour le philosophe une illusion, dont il dresse admirablement la généalogie :
"Dans l'ordre du discours scientifique, l'attribution à un auteur était, au Moyen Âge, indispensable, car c'était un index de vérité. Depuis le XVIIe siècle, cette fonction n'a cessé de s'effacer dans le discours scientifique […]. En revanche, dans l'ordre du discours littéraire, à partir de la même époque, la fonction de l'auteur n'a pas cessé de se renforcer : tous ces récits, tous ces poèmes, tous ces drames ou comédies qu'on laissait circuler au Moyen Âge dans un anonymat au moins relatif, voilà que, maintenant, on leur demande (et on exige d'eux qu'ils disent) d'où ils viennent, qui les a écrits ; on demande que l'auteur rende compte de l'unité du texte qu'on met sous son nom […], de les articuler sur sa vie personnelle et sur ses expériences vécues."
Yann Perreau, Incognito. Anonymat, histoires d'une contre-culture, Paris, Grasset, 2017, p. 74-75.
[1] Michel Foucault, L'Ordre du discours, Collection Blanche, Gallimard, 1971, pp. 29-30.
[2] "Le philosophe masqué (Foucault)", Jean Zoungrana, http://leportique.revues.org/249