Peut-être serons-nous aidés ici en considérant comment se fabriquent les pots. Un pot est un espace en creux ; voilà qui s'entend négativement. Un espace creux apparaît lorsqu'on retire, lorsqu'on abstrait quelque chose d'un plein. Par exemple à l'aide d'une pelle. Ainsi une fosse est-elle un espace creux. Les pots eux aussi peuvent être faits de la sorte, par exemple en creusant dans une boule de glaise avec le pouce. Mais la poterie a probablement été inventée d'une tout autre manière. D'abord, on a dû entrecroiser les doigts des deux mains de manière à créer un espace creux destiné à recueillir l'eau potable. Ensuite, on a entrelacé des branches au lieu des doigts, et ainsi sont apparus les paniers (de même que les tissus). Toutefois, étant donné que les paniers ne retiennent pas les liquides, on en a enduit l'intérieur avec la glaise. Et enfin, on a brûlé ces paniers étanches par hasard ou intentionnellement (nous savons combien le hasard et l'intention se conditionnent l'un et l'autre) ; et c'est ainsi qu'ont été fabriqués les premiers pots — ces pots ravissants, avec leurs motifs géométriques noirs sur fond rouge (les traces des branches brûlées).

Vilém Flusser, Choses et non-choses, esquisses phénoménologiques [1993], trad. Jean Mouchard, Rodez, éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 161.