Malgré leur aspect de tableaux vivants, des œuvres comme le Constantin et Lodovica Albertoni demeurent nettement tridimensionnelles et sont animées d'une vie intense ; ce ne sont pas des reliefs, et elles ne sont pas confinées dans un espace délimité. Comme le David, comme Neptune et Triton, elles participent de notre espace tout en étant très éloignées de nous : ce sont des visions étranges, inaccessibles, des apparitions d'un autre monde.
Dans les deux cas, mais surtout dans celui de la Lodovica Albertoni, le maniement de la lumière contribue d'une manière décisive à l'effet irréaliste de l'œuvre. L'utilisation de la lumière dirigée provenant d'une source cachée au spectateur fut l'une des grandes inventions du Bernin. Par contraste avec la lumière calme et diffuse des artistes de la Renaissance, la lumière orientée paraît transitoire, évanescente. Elle renforce chez le spectateur le sentiment de fugacité de la scène représentée et lui fait saisir que le moment de l'"illumination" divine est aussi soudain qu'éphémère. Cette façon de diriger la lumière était pour le Bernin un moyen d'intensifier, chez le spectateur, l'expérience du surnaturel.
C'est à la chapelle Raimondi de San Pietro in Montorio, entre 1642 et 1646, que le Bernin utilisa pour la première fois une source lumineuse invisible. Cette chapelle constitue le premier ensemble d'une certaine ampleur où sculpture et architecture sont totalement coordonnées ; une fenêtre dissimulée projette un rayon de lumière sur l'autel surmonté du relief représentant l'extase de saint François. Soit dit au passage, tout le décor sculpté qui orne cette vaste chapelle est dû à des élèves du Bernin.
La solution inventée pour cette chapelle sera très vite appliquée à la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria (exécutée entre 1646 et 1652), qui renferme le groupe de L'Extase de sainte Thérèse, l'œuvre la plus célèbre, sans doute du Bernin. La lumière qui tombe de la fenêtre de verre jaune cachée derrière le fronton ajoute au caractère visionnaire de la scène, union mystique de la sainte avec le Christ qui se produit dans un royaume imaginaire, sur un vaste nuage suspendu comme par magie au milieu des airs et qui se détache sur un fond d'albâtre iridescent.
Rudolf Wittkower, Qu'est-ce que la sculpture ? [1977], trad. Béatrice Bonne, Paris, Macula, 1995, p. 183-184.