À minuit, les bouteilles étaient vides. Ils étaient sortis sur le balcon pour prendre l'air et fumer des cigarettes en se laissant baigner par les lumières et les odeurs des rues, les rumeurs du trafic quinze étages plus bas.
(…)
L'air n'était pas trop frais. Accoudés à la rambarde, les deux hommes s'étaient postés un peu plus loin, afin de retrouver un semblant d'intimité masculine. Ils suivirent quelques lumières qui se déplaçaient dans le ciel, après être allés se ravitailler dans les toilettes.
"Je viens de lire une chose, déclara Michel avec une grimace, je viens de lire qu'on a mis au point un système de transplantation fécale. Je ne vais pas te donner les détails. Mais je me demande où ils vont s'arrêter. Jusqu'où vont-ils pousser leurs interventions sinistres ?
— Nous sommes balayés par un raz-de-marée. Je sais. Nous sommes entraînés au loin.
— Tu as vu comment elle m'a traité ? Je crois que cette fois, une étape a été franchie. Il y a un seuil au-dessous duquel je ne peux pas descendre. Il y a des antécédents, tu comprends. Ça devient au-dessus de mes forces. Ça fait partie de ces choses que je ne peux plus supporter, c'est une question de dignité."
Michel avait cinquante ans et la peinture commençait à s'écailler par endroits.
Vers une heure, ils décidèrent qu'il était temps de sortir.

Philippe Djian, Vengeances, Paris, Gallimard, 2011, p. 87-88.