Utilisant une pelle, il recueillit les rochers et les fragments qui lui paraissaient les plus insolites et les plus significatifs, toute une collection sélectionnée aussi vite que possible et qu'il glissait et enfermait dans le container, lequel était aussitôt scellé sous vide. Ils espéraient par la suite avoir le temps de remplir l'autre. Ils projetaient aussi de photographier la seconde collection de pierres avec un appareil stéréoscopique au moment où ils les ramassaient, car la position des rochers pourrait offrir des indices précieux à l'oeil d'un géologue entraîné. Mais ils avaient déjà une demi-heure de retard, il allait falloir soumettre le LM à un examen photographique minutieux, déployer le séismomètre et le rétro-réflecteur laser et il fallait encore ramasser des échantillons de poussière lunaire. Les renseignements précis qu'ils devaient recueillir sur les pierres qu'ils ramassaient finirent par en souffrir. On pourrait supposer qu'il y avait finalement trop de simulations, trop de phénomènes quasi familiers et subitement étranges à absorber. Les pierres elles-mêmes présentaient mille variantes inattendues. Certaines étaient aussi ordinaires que du mâchefer dans le tiroir d'une chaudière, d'autres photographiées en stéréoscopie n'ont pas de dimensions. On ne sait pas si c'est une photographie d'une pierre de sept ou huit centimètres ou bien l'étude d'une corniche ou d'une grotte.

Norman Mailer, Bivouac sur la lune [1969, 1970], trad. Jean Rosenthal, Paris, collection Pavillon poche éditions Robert Laffont, 1971, 2009, p. 548-549.