Un moine défroqué décida de s'initier au vénérable métier de l'imprimerie et entra quatre années en apprentissage. Mais à peine avait-il commencé sa formation qu'il raccrocha au clou son galurin d'apprenti, sous prétexte que tout ce qu'il apprenait était absolument insignifiant, qu'il s'y entendait bien mieux que tous les autres compagnons, surtout en Écritures Saintes, et il se mit à rebattre les oreilles à tout l'atelier de ses interminables disputes théologiques.
Les imprimeries sont connues pour être des lieux où l'on aime se payer la tête de l'autre. Il y avait dans cet atelier un typographe qui était un sacré farceur jamais à court de bonnes plaisanteries. Il s'adressa un jour au moine : "Tu bavardes toujours plus que tout le monde ici et pourtant ta connaissance des Écritures est plus que fragile. Si cela te convient, j'aimerais dimanche, puisque nous chômons, t'affronter dans une courte disputation dans laquelle les Écritures seront notre seul sujet et notre seule référence. Les autres apprentis et compagnons y assisteront et seront nos juges."
Le moine fut ravi de cette proposition. Le fameux dimanche arriva et tous deux s'assirent l'un en face de l'autre. Le moine s'était muni de sa bible, de l'Ancien Testament et d'un grand nombre d'ouvrages susceptibles de lui être utiles. Quant à l'autre, en bon farceur, il avait fourré dans un sac deux à trois bons kilos de caractères typographiques que les imprimeurs ont coutumes d'appeler écritures.
La dispute commença. Le moine lui posa, comme il lui sembla, de grandes et graves questions. Le typographe y répondit hilare par une multitude de bons mots, si bien que le moine finit par comprendre qu'il se moquait de lui. Alors, en bon moine qu'il était, il se permit de traduire ses pensées en actes, il bondit de sa chaise et lui sauta à la gorge. Le typographe ne demeura pas en reste, il prit son sac rempli d'écritures et lui asséna des coups sur la tête et sur les reins tant et si bien que le moine se mit à crier comme un putois.
L'auditoire vint alors à sa rescousse et le moine dut essuyer les quolibets de ses camarades : on le déclara vaincu, anéanti par les écritures, et on fit un triomphe au typographe. Les temps suivants, le moine se tint à peu près tranquille. Car aussitôt qu'il voulait ouvrir la bouche, ses compagnons lui brandissaient les lettres de l'alphabet en lui disant d'un air menaçant : "Tu veux encore une fois te frotter aux Écritures ?"
Jörg Wickram, Comment un moine défroqué fut vaincu par les Écritures, in Joyeuses histoires à lire en diligence [1555], trad. Catherine Fouquet, Paris-Orbey, Arfuyen, 2012, p. 59-60.