Il s'assit un long instant sur un banc moussu, non loin du grand acacia dont la frondaison balançait, produisant un bruit sourd mais continu, un chuchotis murmurant, un soupir bourdonnant qu'on aurait cru pouvoir sibyllin, dodonial.
Il s'irritait, n'arrivait plus à saisir l'insinuant fil qui tissait son association. Un roman ? Anton Voyl n'avait-il pas dit un jour qu'un roman donnait la solution ? Un flot brouillon, tourbillonnant d'imaginations s'imposa soudain à lui : Moby Dick ? Malcolm Lowry ? La Saga du Non-A, par van Vogt ? Ou, vus dans un miroir, trois 6 sur l'immaculation du dos d'un Christian Bourgois ? Ou l'obscur Signal d'Inclusion, main à trois doigts qu'imprimait Roubaud sur un Gallimard ? Blanc ou l'Oubli, d'Aragon ? Un Grand Cri Vain ? La Disparition ?
Il sursauta soudain. La nuit, tout à coup, lui parut fraîchir. Il frissonna.
Il avait fini son Trabuco qu'il lança au loin, bout au tison flamboyant qui illumina un trop court instant la nuit. Il quitta son banc. Il lui apparut alors qu'il ignorait sa position. Un gazon dru amortissait son pas alors qu'il croyait parcourir un layon à cailloutis. Il alluma son zippo, mais il fonctionnait si mal qu'il n'y vit pas plus clair. Il consulta son chrono. Il marquait minuit moins vingt, mais l'appliquant sur son tympan, il n'ouït aucun tic-tac. Il jura. Il s'affolait. Son pouls avait pris un tour palpitant.
Il marcha à tâtons. D'abord il buta sur un mur. Puis il tomba dans un trou où, comprit-il aussitôt, s'accumulait jadis l'ailgail qu'utilisait Augustus pour son bain lustral du matin. Puis, forpaysant tout à fait, il s'alla fourvoyant dans un amas buissonnant où l'odorant cassis jouxtait l'inamical thuya, buisson dont il n'arriva à sortir qu'au prix d'accrocs cuisants.
Georges Perec, La disparition [1969], Paris, L'imaginaire Gallimard, 2017, p. 220-221.