Il s'assit sur un banc et tenta d'y voir plus clair. Il n'aimait pas du tout la tournure que prenait l'affaire ; elle lui rappelait les écheveaux de coton perlé de sa vieille cousine Emily. Quand parfois il restait chez elle après l'école, cousine Emily avait le don de sortir sa boîte à ouvrage, au moment où Jeremy était plongé dans un livre passionnant, et de dire avec cette gaieté forcée que beaucoup d'adultes, par ailleurs très gentils, se sentent obligés d'employer quand ils s'adressent à un enfant : "Qui va se rendre utile et démêler le pauvre coton de cousine Emily ? C'est Jeremy !" Là-dessus, elle exhibait une boule grosse comme un ballon de football, faite de petits écheveaux multicolores et brillants, affreusement emmêlés.
Cette affaire lui paraissait tout aussi embrouillée que les fils de coton, avec leurs boucles sans fin, leurs extrémités enchevêtrées et leurs nœuds serrés à vous rendre fou : le morceau de papier tombé du livre bleu, le coffre-fort ouvert alors qu'il était certain de l'avoir verrouillé, la lettre laissée dans le même coffre-fort et retrouvée dans le tiroir de son propre bureau, Rachel, somnambule passe-muraille, les figurines en argile, et ce colonel Garett qui cherchait à le piéger. Rosalind l'avait-elle invité afin que Garett puisse le prendre dans ses filets ? Non, Rosalind n'aurait pas fait une chose pareille — pas la Rosalind qu'il connaissait ! Mais la Rosalind de ce dimanche lui était devenue étrangère…
Il décida de ne plus penser à tout ça. Souvent, il lui était arrivé de fourrer à la hâte les écheveaux emmêlés de cousine Emily dans la boîte à ouvrage pour ne pas avoir à les jeter au feu ! À cette minute, il ressentait exactement la même colère. Il résolut de mettre cet embrouillamini de côté et de s'intéresser à ce qui se passait autour de lui.
Sur sa gauche, une allée gravillonnée longeait une vaste pelouse, et à droite une rambarde courait le long d'une haie de lilas. Des arbres aux branches dénudées émergeaient de massifs de conifères nains. Une jeune fille y était appuyée.
Patricia Wentworth, Prends garde à toi ! [1993], trad. Anne-Marie Carrière, Paris, 10/18, 2014, p. 102-103.