Je pris une cigarette et frottai une allumette qui s'enflamma et s'éteignit aussitôt, abandonnant un effluve de soufre à moitié brûlé. Devant mes yeux se dessinèrent les arbres touffus d'un jardin sous l'éclat cuivré de la lune, la chevelure grise de mon professeur de lycée assis à côté de moi sur un banc de bois en arc de cercle. C'était au début de l'automne. Le lendemain matin, je devais me présenter aux examens de fin d'année ; j'avais travaillé toute la soirée, puis j'étais sorti dans le parc. Au bout du long couloir de l'internat, des camarades m'avaient appris qu'un de nos enseignants, une jeune femme de vingt-quatre ans, s'était suicidée. À l'extérieur, j'avais aperçu mon professeur. Je m'étais assis à côté de lui, sur le banc, j'avais pris une cigarette et frotté une allumette ; comme aujourd'hui, elle s'était éteinte aussitôt, en laissant derrière elle un relent soufré.

Gaïto Gazdanov, Le spectre d'Alexandre Wolf [1951], éditions Viviane Hamy, 2013, p. 131-132.