Bourlin poussa un soupir découragé. Il connaissait Adamsberg depuis assez longtemps pour savoir que "réfléchir" n'avait aucun sens, le concernant. Adamsberg ne réfléchissait pas, il ne se posait pas seul à une table, crayon en main il ne se concentrait pas devant une fenêtre, il ne récapitulait pas pas les faits sur un tableau, avec des flèches et des chiffres, il ne posait pas son menton sur son poing. Il vaquait, marchait sans bruit, il ondulait entre les bureaux, il commentait, arpentait le terrain à pas lents, mais jamais personne ne l'avait vu réfléchir. Il semblait aller tel un poisson à la dérive. Non, un poisson ne dérive pas, un poisson suit son objectif. Adamsberg évoquait plutôt une éponge, poussée par les courants. Mais quels courants ? D'ailleurs, d'aucuns disaient que, quand son regard brun et vague se perdait plus encore, c'était comme s'il avait des algues dans les yeux. Il appartenait plus à la mer qu'à la terre.

Fred Vargas, Temps glaciaires, Paris, Flammarion, 2015, p. 29.