Amélie1850 travaille dans la capitainerie du port de plaisance de Beaulieu, près de Nice. Comme Jérôme1720 ou Mathieu1048, il s'agit là d'un poste qu'elle a obtenu grâce à une connaissance (de tennis). Dans le milieu du yoga, de la danse et de la photographie, activités qui l'intéressent vraiment, elle a su attirer l'attention de personnalités connues et influentes comme Lucien Clergue ou Jacques Renoir, mais elle n'a jamais su faire jouer ce genre de relation pour obtenir un emploi rémunéré dans ces domaines. À Beaulieu, elle occupe un poste d'assistance de direction. Elle dispose d'un treizième mois, et des primes augmentent en moyenne son salaire de 150 euros. Elle vit bien et croit pouvoir dire que c'est beaucoup plus que ce que touchent d'autres personnes qui occupent le même poste dans d'autres boîtes, mais est-ce injuste ? Elle se souvient d'un pot de départ : une personne qu'elle n'appréciait pas et qui s'était fait virer pour incompatibilité d'humeur avec le boss : elle s'opposait presque toujours aux décisions prises lors des réunions du comité exécutif, s'occupait des dossiers qui ne la concernait pas, montait les gens les uns contre les autres. Pour l'occasion, on avait acheté, pour une centaine d'euros, des gâteaux, des petits fours, plus quelques bouteilles de champagne. Tout le monde était figé autour de cette table dérisoire, trois ou quatre seulement jouaient le jeu, les autres, à moitié. Le problème du travail, c'est celui de la vie en entreprise, dit Amélie1850 : l'entreprise vous oblige à manifester de l'intérêt pour des choses qui ne peuvent en aucun cas être centrales dans une existence. La vie s'en trouve ensuite comme totalement fictionnalisée.
Christophe Hanna, Argent, Paris, Éditions Amsterdam, 2018, p. 116-117.