Lorsque son travail fit l'objet d'un long article élogieux dans le Mercure de France, de son vivant, au début de 1890, il savait donc parfaitement à quoi il devait sa gloire naissante : non pas à son talent, anecdotique, mais à son travail et à la patiente construction, consciente et intelligente d'un ensemble dont la valeur était déterminée par sa profondeur, sa force et sa cohérence. Dans l'article en question, soit dit en passant, il n'est pas question d'un art mis au service de nobles causes, mais de qualités formelles, d'audace et de justesse thématique. En d'autre termes, il y est question de qualité et non d'intention, de geste ou de je ne sais quel concept vaseux.
Aujourd'hui, les écarts de qualité et de style de l'œuvre de Van Gogh ne sont toujours pas compris, et on s'est demandé pour quelles raisons des sommes considérables étaient dépensées, parfois avec des subsides publics, pour des œuvres peu maîtrisées qui semblent devoir leur prix au seul fait qu'elles ont été peintes par une personne en particulier. On y a vu une manifestation d'idolâtrie imbécile, une injustice faite à des tableaux plus travaillés d'artistes moins pythiques.
C'est oublier que ces œuvres, peu engageantes sur un plan visuel pour certains, font partie d'un ensemble dont chaque pièce a un sens. On peut considérer la possession d'une de ces pièces comme la détention d'une action de la société Van Gogh frères, dont le succès, la croissance et les marges ont toujours donné raisons à ses investisseurs.
Wouter Van Der Veen, Le capital de Van Gogh, Arles, Actes Sud, 2018, p. 59-60.