Établir des faits de façon crédibles requiert toutefois certaines conditions. Pour multiplier sa force, le témoignage doit être public et collectif. Un acte public doit se dérouler dans un espace acceptable d'un point de vue sémiotique comme public et non privé. Mais "l'espace public" pour les expérimentateurs se doit d'être rigoureusement défini ; il ne peut pas être ouvert à tous, et "tout un chacun" ne peut constituer un témoin crédible. La question de ce qui compte comme privé et comme public est donc très débattue à l'époque de Boyle. Ses opposants, et en particulier Thomas Hobbes (1558-1679), condamnent la forme de vie expérimentale parce que la connaissance y est justement dépendante de la pratique du témoignage par une communauté particulière faite notamment de clercs et d'hommes de loi. Hobbes voit les expérimentateurs comme participant d'un espace privé, voire secret, et non d'un espace civil ou public. Le "laboratoire ouvert" de Boyle, comme ses descendants, constituent un "espace public" des plus curieux, avec des contraintes complexes sur ceux qui peuvent légitimement y participer : "Le résultat final est en quelque sorte un espace public à accès restreint"[1].
Donna Haraway, "Le témoin modeste : Diffractions féministes dans l'étude des sciences" in Manifeste cyborg et autres essais, trad. Delphine Gardey, Paris, Exils éditeur, 2007, p. 313-314.
[1] Shapin and Schaffer, Leviathan and the Air-Pump, p. 336.