Pour clore cette collection d'exemples sans doute encore incomplète, il faut mentionner une expérience tirée du travail psychanalytique, qui, si elle ne repose pas sur une coïncidence fortuite, apporte la plus belle confirmation de notre conception de l'inquiétante étrangeté. Il advient souvent que des hommes névrosés déclarent que le sexe féminin est pour eux quelque chose d'étrangement inquiétant. Mais il se trouve que cet étrangement inquiétant est l'entrée de l'antique terre natale [Heimat] du petit d'homme, du lieu dans lequel chacun a séjourné une fois et d'abord. "L'amour est le mal du pays [Heimweh]", affirme un mot plaisant, et quand le rêveur pense jusque dans le rêve, à propos d'un lieu ou d'un paysage : "Cela m'est bien connu, j'y ai déjà été une fois", l'interprétation est autorisée à y substituer le sexe ou le sein de la mère. L'étrangement inquiétant est donc aussi dans ce cas le chez-soi [das Heimishe], l'antiquement familier d'autrefois. Mais le préfixe un par lequel commence ce mot est la marque du refoulement.
Sigmund Freud, "L'inquiétante étrangeté", in L'inquiétante étrangeté et autres essais [1933], trad. Bertrand Féron, Paris, Gallimard, Folio essais, 1985, p. 251-252.