Dans le cas d'inquiétante étrangeté dérivé de complexes infantiles, la question de la réalité matérielle n'entre pas du tout en ligne de compte, c'est la réalité psychique qui prend sa place. Il s'agit du refoulement effectif d'un contenu et du retour de ce refoulé, et non de la suspension de la croyance à la réalité de ce contenu. On pourrait dire que dans un cas, c'est un certain contenu de représentation, dans l'autre, la croyance à sa réalité (matérielle) qui est refoulée. Mais il est probable que le deuxième mode d'expression étend l'usage du terme "refoulement" au-delà de ses frontières légitimes. Il est plus correct de tenir compte d'une différence psychologique qui se fait sentir ici, et de qualifier l'état dans lequel se trouvent les convictions animistes de l'homme civilisé, d'un état de dépassement plus ou moins achevé. Le résultat auquel nous parvenons se formulerait alors dans ces termes : l'inquiétante étrangeté vécue se constitue lorsque des complexes infantiles refoulés sont ranimés par une impression, ou lorsque des convictions primitives dépassés paraissent à nouveau confirmées. Enfin, il ne faut pas que notre goût des solutions complètes et des présentations transparentes nous détourne d'avouer que les deux genres d'inquiétante étrangeté que nous venons d'établir ne se laissent pas toujours nettement distinguer dans le vécu. Si l'on songe que les convictions primitives sont liées de la manière la plus étroite aux complexes infantiles et y trouvent à vrai dire leurs racines, on ne s'étonnera pas beaucoup de voir ces délimitations s'estomper.
Sigmund Freud, "L'inquiétante étrangeté", in L'inquiétante étrangeté et autres essais [1933], trad. Bertrand Féron, Paris, Gallimard, Folio essais, 1985, p. 257-258.