Le mot allemand unheimlich est manifestement l'antonyme de heimlich, heimish (du pays), vertraut (familier), et l'on est tenté d'en conclure qu'une chose est effrayante justement pour la raison qu'elle n'est pas connue ni familière. Mais il est évident que n'est pas effrayant tout ce qui est nouveau et non familier ; la relation n'est pas réversible. On peut seulement dire que ce qui a un caractère de nouveauté peut facilement devenir effrayant et étrangement inquiétant ; parmi les choses revêtant un caractère de nouveauté, quelques-unes sont effrayantes, mais certainement pas toutes. Au nouveau, au non-familier doit d'abord s'ajouter quelque chose, pour qu'il devienne étrangement inquiétant.
Dans l'ensemble, Jentsch s'en est tenu à cette relation de l'étrangement inquiétant au nouveau, au non-familier. Il trouve la condition essentielle de l'émergence d'un sentiment d'inquiétante étrangeté dans l'incertitude intellectuelle. À proprement parler, l'étrangement inquiétant serait toujours quelque chose dans quoi, pour ainsi dire, on se trouve tout désorienté. Mieux un homme se repère dans son environnement, moins il sera sujet à recevoir des choses et des événements qui s'y produisent une impression d'inquiétante étrangeté.
Sigmund Freud, "L'inquiétante étrangeté", in L'inquiétante étrangeté et autres essais [1933], trad. Bertrand Féron, Paris, Gallimard, Folio essais, 1985, p. 215-216.