PS cinématographique.
Plan aérien. Il pleut. Le gris du ciel et l'humidité rendent leur vert à ces terres. Les incendies se sont éteints, quelque chose de nouveau commence à s'insinuer parmi les pierres et les montagnes.
Travelling. Terre, joncs et pin (ce qu'ici on appelle "maison". Des femmes au ruisseau lavent le linge soigneusement : "Si tu y vas trop fort, le linge se déchire et il n'y a plus de trames pour raccommoder." Un enfant joue avec un paquet vide de cigarettes Flip top, comme si c'était un camion, il le charge de petites pierres : "Ce sont des paquets de maïs", explique-t-il au Zapatiste du camp qui essaye, sous la pluie, de recouvrir l'enfant d'une bâche : en vain, le camion s'éloigne du campement et sentinelle doit rester à son poste. Toñita se lave la figure à l'eau de pluie qu'elle a recueillie dans une boîte de soda light. Dans une vieille construction de bois, la seule à posséder un toit en tôle ondulée (on l'appelle "l'école", ici), visages bruns, yeux noirs, bottes pleines de boue, vieilles chemises, foulards rouges, moustaches discutent de la guerre et de la paix. La garde du Quarter général zapatiste grelotte sous l'auvent de plastique rongé. Les porteurs arrivent mouillés, mi-sueur, mi-pluie, boue partout. Sur le feu, se regroupent des mains froides et des histoires de gros chapeaux, de petites boîtes parlantes et de femmes qui marchent la nuit. el Beto tire sur l'embout du ballon qu'il a empli d'eau et joue à faire pleuvoir ; aux pieds du Beto tombe la pluie sur le sol mouillé. Moisés et Tacho regardent préoccupés la rivière gonflée, ils tentent de la traverser sur un radeau de troncs d'arbres ; personne ne parle, ils regardent l'eau marron comme s'ils contemplaient la vie…
Plan large. Au détour du chemin, María fait son apparition.
Trente ans et 8 enfants vivants ("4 autres sont morts"), un fagot de bois sur le dos ; le poids, le harnachement et la boue l'obligent à regarder le sol, elle a une hache dans la main droite. Elle est suivie par Josefa, quinze ans, qui porte aussi un tercio ballant ; Josefa ne se soucie pas du sol boueux, elle fait plutôt attention à ce que les lanières n'abîment pas sa coiffure et ne lui arrachent pas les barrettes qu'elle a au nombre de huit sur sa frange. Encore un tercio derrière, un autre fagot de bois aux pieds nus, à peine quelques dizaines de centimètres au-dessus du sol. C'est Pedro qui doit être dessous, huit ans, une machette à la main et l'autre main sur le harnachement pour aider sa tête à supporter le poids…
Plan moyen. Hortensia, insurgée zapatiste et couturière, exhibe fièrement sa plus belle réussite : de cinq pantalons troués et déchirés, elle est parvenue à en tirer un. Lorsqu'elle le montre à la troupe, tout le monde se rappelle soudain qu'il avait quelque chose d'autre à faire. Hortensia reste le pantalon dans les mains : il y a quatre couleurs et, "par hasard", dit-elle, une petite fleur à l'entrejambe.
Sous-commandant Insurgé Marcos, Pluie, musique et poésie, 3 juin, in Sous-commandant Marcos, Ya basta !, Les insurgés zapatistes racontent un an de révolte au Chiapas, tome 1, trad. Anatole Muchnick et Marina Urquidi, Paris, éditions Dagorno, 1996, p. 293-295.