Ma sculpture existe, et se situe, dans un monde dont la réalité la plus forte est l'ambiguité et le paradoxe culturels — le glissement continu et nécessaire du sens. Ma sculpture existe et est placée de façon à reconnaître ce paradoxe ; à reconnaître — par exemple — que chaque site et chaque situation spécifiques donnés dans lesquels je songe à placer de la sculpture sont, en fait, déjà définis par son absence même. (Ainsi je choisis l'emplacement de chaque sculpture de façon à constater la présence et la signification historiques d'un lieu particulier que ma sculpture va ensuite détruire. Je l'y place particulièrement pour changer un lieu en un autre lieu qui ne contiendra que le souvenir — le fantôme — du premier tout différent. Je l'y place pour créer un lieu qui était impensable avant que ma sculpture n'y soit. Je l'y place afin de tailler activement le monde reçu ; afin de l'élaguer et de le rabattre, afin d'y ajouter et de le changer — de même que le monde et la nature tout entiers sont constamment taillés, changés et aménagés par la culture.) J'installe chaque sculpture pour rouvrir puis fermer la partie du monde où elle est mise. Je l'installe pour transformer une histoire réelle nouvelle en existence humaine. J'installe ma sculpture pour donner forme au passé changeant. Pour reconnaître la possibilité même de l'histoire dans un monde qui s'enfuit.

Richard Nonas, Get Out, Stay Away, Come Back, À propos de la sculpture et de la sculpture en œuvre, trad. Mathilde Bellaigue, Dijon, Les Presses du Réel ; Chalon-sur-Saône, La vie des formes, 1995, p. 16-17.