PROJET POUR LE CONTRAT D'ACHAT

Vendre mon musée ? Oui. Est-ce possible ? Ma marque ne risque-t-elle pas d'en être ternie ? Ne redeviendrai-je pas un vendeur comme au temps où j'agrippais le client dans la rue Haute de Bruxelles pour le compte d'une patron d'un magasin de costumes ? De cette manière, le musée redeviendrait un objet artistique abandonné à la spéculation comme tous les autres. Ce ne serait naturellement pas un vêtement qui, une fois vendu, pourrait devenir un bien d'utilisation courante, car le musée n'est pas utilisable. Je réfléchis. Ce musée ne peut être vendu qu'à une institution qui prenne toutes les garanties nécessaires pour éviter une spéculation. Sa mission et la mienne consistent à refouler toutes les idées de spéculation derrière les ultimes barrières d'un inconscient collectif. Le prix du musée ne peut être défini que par le prix réel des objets (traces, documents, livres, gravures) qui m'appartiennent, et la rétribution qui me revient devrait correspondre à celle du directeur d'un modeste musée.
Rétribution unique ou salaire régulier ? Salaire ou rétribution ? Ça revient au même. À condition qu'on empêche tout enrichissement par la plus-value. Car il s'agit à cet égard de sauver mon désintéressement et celui de mes clients.

Marcel Broodthaers, "Projekt für den Kaufvertrag" in : Heute Kunst (Milan 1973), in Marcel Broodthaers par lui-même, Gand/Paris, Ludion/Flammarion, 1998, p. 94.