On ne peut connaître une sculpture de Rodin qu'à en saisir les possibilités d'adaptation. La plupart de ses œuvres sont, en fait, des constellations de parties interchangeables et avec son énorme production, on peut jouer sans fin à repérer les fragments nomades. La Chute d'un ange n'est autre que le Torse d'Adèle veillé par la Cariatide. Je suis belle (ou Le Séducteur), c'est L'Homme qui tombe hissant dans ses bras La Femme accroupie. La Centauresse réunit le corps androgyne d'Orphée — né lui-même d'une greffe hasardeuse — et la monture du Général Lynch.
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Et l'on ne voit pas, sauf le respect dû à Rodin, pourquoi devrait s'interrompre ce jeu de greffes et de croisements entre ses sculptures — jeu auquel il s'adonnait avec ses amis. Compte tenu de l'existence de ses readymades, rien n'empêcherait de produire de nouveaux hybrides.

Leo Steinberg, Le retour de Rodin, trad. Michelle Tran Van Khai, Paris, Macula, 1991, p. 63.