Trente kilomètres au sud, Paul se tient toujours seul dans son appartement trop clair. Il passe d'une pièce à l'autre, trouve ces pièces inutilement blanches et nombreuses, il ne voit rien. Ces tableaux sur les murs ne lui sont rien. Souvent ils représentent des choses : un véhicule Caterpillar en pleine action ; un éléphant distancié, sorti de son biotope. Il y a quand mème une petite gouache abstraite (1959) de Gaston Chaissac. Depuis le départ d'Élizabeth, parfois aussi ces tableaux ne sont plus là, à leur place des carré et rectangles pâles hébergent un piton célibataire, un couple de clous obliques chevauchés par un fil de poussière. Des plantes vertes au pied des fenêtres luttent dans leurs bacs contre l'oubli, contre l'idée de la mort. Au-delà de ces fenêtres, l'air lourd est endimanché. Le temps s'étire, le vide menace. Un transistor grésille au secours dans la cuisine mais le silence ne se détache que mieux, se visse d'un cran supplémentaire, pilonne ses intimidations.
Couché très tard, Paul s'était levé tard, d'abord sans aucun souvenir de la veille qu'il put reconstituer par bribes, s'aidant des traces recueillies sur ses vêtements, dans ses vêtements. Des molécules d'Heure bleue près du col de sa veste, un numéro de vestiaire dans la poche gauche en compagnie d'un ticket d'entrée, dans la poche droite une forte contravention — des indices.
Jean Echenoz, L'équipée malaise, Paris, Les éditions de Minuit Mdouble, 1986-1999, p. 61.