Il n'avait plus emprunté le train depuis si longtemps qu'il eut envie d'en jouir le mieux possible. Tout le trajet, il demeura debout près de la portière du wagon, sa main fermée sur une barre verticale, son regard allant de l'extérieur (pavillons, fabriques, zone ; cimetière jouxtant l'usine de charcuterie ; résidences, terrains de sport en friche où s'affrontaient des rouges, des bleus dépareillés) à l'intérieur (peu de monde dans ce sens à cette heure-ci). Mais ces regards ne suffirent pas à lui fournir une vue d'ensemble effective, une perception totale du chemin de fer, toujours quelque chose manquait, s'échappait d'une fissure insituable. Il ouvrit la lettre, alors seulement ; il la lut.
Jean Echenoz, L'équipée malaise, Paris, Les Éditions de Minuit Mdouble,1986-1999, p. 57.