Au niveau des objets en série, la possibilité de ce discours fonctionnel est réduite. Objets et meubles sont des éléments dispersés, dont la syntaxe n'est pas trouvée : s'il y a calcul de rangement, c'est un calcul pénurique, et les objets apparaissent pauvres dans leur abstraction. Cette abstraction cependant est nécessaire : c'est elle qui fonde au niveau du modèle l'homogénéité des termes du jeu fonctionnel. Il faut d'abord que l'homme cesse de se mêler aux choses, de les investir à son image pour pouvoir ensuite, au-delà de l'usage qu'il en a, projecter sur elles son jeu, son calcul, son discours, et investir ce jeu même comme un message aux autres, et un message à soi-même. À ce stade, le mode d'existence des objets "ambiants" change totalement et à une sociologie du meuble succède une sociologie du rangement[1].
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 36.
[1] R. Barthes décrit cette phase nouvelle à propos de l'automobile : "l'uniformité des modèles semble condamner l'idée même de performance technique la conduite "normal" devient alors le seul champ possible à investir des fantasmes de puissance et d'invention. L'automobile transmet son pouvoir phantasmatique à un certain corps de pratiques. Puisqu'on ne peut plus bricoler l'objet lui-même, c'est la conduite qu'on va bricoler… ce ne sont plus les formes et les fonctions de l'automobile qui vont solliciter le rêve humain, c'est son maniement, et ce n'est plus bientôt peut-être une mythologie de l'automobile qu'il faudra écrire, mais une mythologie de la conduite" (Réalités, n°213, octobre 1963).