Nous ne sommes pas loin de midi. Les deux hommes réfléchissent, assis de part et d'autre d'un secrétaire métallique vert, vieux modèle réglementaire à caissons derrière lequel se tient le général. Le plateau de ce meuble n'est occupé que par une lampe éteinte, une boîte de cigarillos Panter Tango, un cendrier vide et un sous-main en buvard très ancien, fort effiloché, qui semble avoir épongé puis conclu nombre d'affaires depuis, disons, le dossier Ben Barka. Le secrétaire vert occupe le fond d'une pièce austère dont la fenêtre commande une cour de caserne pavée, à part lui se trouvent deux chaises en tubulures et Skaï, trois armoires de classement à dossiers suspendus, une tablette supportant un vieil et gros ordinateur malpropre. Tout cela ne date pas d'hier et le fauteuil du général n'a pas l'air bien douillet, ses accotoirs sont oxydés, ses coins fendillés laissent distinguer, voire fuir par lambeaux, son infrastructure en polyuréthane de la première génération.

Jean Echenoz, Envoyée spéciale, Paris, Les éditions de minuit, 2016, p. 9-10