Cela dit, le fétichisme est le même : à la limite, tout objet ancien est beau simplement parce qu'il a survécu et devient par là le signe d'une vie antérieure. C'est la curiosité anxieuse de nos origines qui juxtapose aux objets fonctionnels, signes de notre maîtrise actuelle, les objets mythologiques, signes d'un règne antérieur. Car nous voulons à la fois n'être que de nous-mêmes, et être de quelqu'un : succéder au Père, procéder du Père. Entre le projet prométhéen de réorganiser le monde et de se substituer au Père, et celui de descendre par la grâce de la filiation d'un être originel, l'homme ne sera peut-être jamais capable de choisir. Les objets eux-mêmes témoignent de cette ambiguïté irrésolue. Certains sont médiation du présent, d'autres médiation du passé, et la valeur de ceux-ci est celle du manque.
Jean Baudrillard, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968, p. 117.