La société de consommation a besoin de ses objets pour être et plus précisément elle a besoin de les détruire. L'"usage" des objets ne mène qu'à leur déperdition lente. La valeur créée est beaucoup plus intense dans leur déperdition violente. C'est pourquoi la destruction reste l'alternative fondamentale à la production : la consommation n'est qu'un terme intermédiaire entre les deux. Il y a une tendance profonde dans la consommation à se dépasser, à se transfigurer dans la destruction. C'est là qu'elle prend son sens. La plupart du temps, dans la quotidienneté actuelle, elle reste subordonnée, comme consommation dirigée, à l'ordre de productivité. C'est pourquoi la plupart du temps les objets sont là par défaut, et c'est pourquoi leur abondance même signifie paradoxalement la pénurie. Le stock, c'est la redondance du manque, et signe de l'angoisse. Dans la destruction seule, les objets sont là par excès, et témoignent, dans leur disparition, de la richesse. Il est en tout cas évident que la destruction soit sous sa forme violente et symbolique (happening, potlatch, acting out destructif, individuel ou collectif), soit sous sa forme de destructivité systématique et institutionnelle, est vouée à devenir une des fonctions prépondérantes de la société post-industrielle.
Jean Baudrillard, La société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p. 56.