En "soufflant" un espace on ne crée pas seulement un lieu : on lui insuffle du temps. C'est-à-dire des temps. Le processus inventé dans Delocazione s'ouvre, je l'ai dit, sur deux horizons temporels au moins : d'un côté, il offre une apparence fausse d'éternité puisqu'il mime l'œuvre si lente de la poussière déposée sur des objets au rebut ; d'un autre côté, il offre une apparence fausse d'immédiateté, de pur présent, puisqu'il mime l'œuvre si fulgurante d'une bombe incendiaire, voir atomique[1].
L'œuvre n'imite pas un espace. Elle produit son lieu — son travail du lieu, sa fable du lieu — par un travail et une fable de temps, un mime de temps ajointés : une invocation, une production, un montage de temps hétérogènes. Le temps œuvré est toujours un temps manipulé, démultiplié. C'est donc une composition d'anachronismes.
Georges Didi-Huberman, Génie du non-lieu, Air, poussière, empreinte, hantise, Paris, Les éditions de minuit, 2001, p. 38-39.
[1] L'"apparence fausse de présent" renvoie, bien sûr, à la reformulation mallarméenne de la mimèsis : cf. S. Mallarmé, "Mimique" (1886), œuvres complètes, éd. H. Mondor et G. Jean-Aubry, Paris, Gallimard, 1945, p. 310.