L'absence de photographies, d'indices, de témoignages rend paradoxalement plus facile la survivance du regard d'Ana / X / Anne en la maintenant en vie telle que je la vois la première fois, dans la rupture étrange d'une impression familière. Cette observation ne rend pas pour autant sa disparition plus douce ou plus acceptable. Elle ne fait que nourrir l'étrangeté nécessaire à la poursuite d'une ligne de conduite ébauchée dans ces lignes. Le regard d'Ana / X / Anne est un outil de savoir, l'un des plus efficaces qui soit. Le refus net et définitif de toutes les formes de systèmes d'interprétation donnés pour clos et définitifs trouve dans ce regard une stimulation durable, tout à la fois un repère, un modèle, un accompagnement, une possibilité de comprendre, un rempart indéfectible contre tout ce qui pourrait lui porter atteinte en lui retirant son aura unique, en l'étouffant, en le liquéfiant, en le neutralisant, c'est-à-dire en le rendant visible, en le rendant vendable, en acceptant de préférer la photographie au reflet original, la pauvreté de la communication humaine à ce que je nomme pour moi anthropologie.
L'enquête est vouée à continuer.

Éric Chauvier, Anthropologie, Paris, Allia, 2006, p. 134-135.