En 1983, le MOCA de Californie m'écrivit pour me signaler que le comte Panza allait prêter, ou fournir d'une autre façon, une de mes pièces en contre-plaqué à l'occasion de leur rétrospective inaugurale. Le MOCA et Panza s'accordèrent sur le fait que les menuisiers du musée fabriqueraient l'œuvre. Dans la mesure où j'avais déjà vu, à plusieurs reprises, ce que donnait ce type de collaboration, je m'y suis fortement opposé. Étant donné leur peu de capacité à comprendre ce qu'est l'intégrité de l'œuvre, pour eux improbable, j'eus beaucoup de mal à les persuader, j'ai presque dû les forcer. Une fois de plus, ma façon de construire était jugée trop onéreuse ; Peter Ballantine était trop cher ; le billet d'avion aussi ; le contre-plaqué également. Même si l'œuvre en soi était gratuite, s'agissant d'un appât. Finalement, Peter fit le voyage et construisit les œuvres en fonction de l'espace. Pour moi, cela signifiait que je perdais le travail de Peter pour d'autres œuvres sur lesquels nous travaillions. Puis l'exposition s'acheva. Panza ne voulut pas qu'on prenne la peine de démonter soigneusement l'œuvre, ni même qu'on la conserve en entrepôt. Il voulait, comme le musée, s'en débarrasser. Un problème similaire m'opposa à Saatchi. Celui-ci refusait de payer le voyage de Peter à Londres pour le démontage de la grande sculpture en contre-plaqué — ce qu'il est le seul à pouvoir mener à bien. Saatchi a fait démonter l'œuvre par d'autres types. J'ai donc déclarer que l'œuvre avait été détruite. Sa réalisation avait coûté 60 000 dollars en 1981, et avait demandé six à sept mois de travail à Peter — elle n'existe plus. Nous avons écrit à Panza pour lui dire que, finalement, l'œuvre présentée au MOCA existait bel et bien, mais que, si on la détruisait, elle ne pourrait plus jamais exister. Comme d'habitude Panza pensait qu'on pouvait la refaire pour un autre espace, en d'autres dimensions. Encore et encore. Je lui ai écrit ceci : "J'ai été surpris de ce que vous désiriez détruire l'œuvre en contreplaqué construite par Peter Ballantine pour Los Angeles. Il s'agit de mon œuvre, elle témoigne de mes préoccupations et aussi, très clairement, du savoir-faire de Peter, qu'il ne serait pas bon de gaspiller. La technique d'assemblage et le savoir-faire sont partie intégrante de l'œuvre. Une œuvre construite sans que je puisse en superviser la réalisation n'est pas de moi. Vous en pouvez pas continuer à agir ainsi.

Donald Judd, Una Stanza per Panza, 1990, in Écrits 1963-1990, trad. Annie Perez, Paris, Daniel Lelong éditeur, 1991, p. 279.