Tel homme qui passe sur la place publique, croyant ne penser qu'à ses petites affaires et à lui-même, reçoit à son insu le choc des grandes idées que la sculpture manifeste. Les mâles vertus qui font le citoyen, l'art statuaire, par une heureuse inspiration, les a représentées sous la figure de divinités féminines, comme pour adoucir l'austérité de l'idée par une grâce qui la rend aimable. Enveloppées dans la tunique des filles de Jupiter, ces vertus d'un caractère rigide deviennent plus accessibles, plus attrayantes. L'enfant même qui joue dans nos jardins au pied des statues se pénètre peu à peu, et sans en avoir conscience, de ces idées générales, qui sont les seules généreuses. Il gardera toute sa vie les premières impressions qu'auront produites sur sa jeune âme ces figures héroîques.
D'ailleurs, quand elles sont indépendantes de l'architecture, les œuvres du sculpteur ne se détachent point sur un ciel factice, comme les figures du peintre dans son tableau ; elles s'enlèvent sur le vrai ciel, sur le vrai paysage, de sorte que, par la réalité des objets qui l'environnement autant que par ses formes tangibles, la sculpture nous rend l'idéal plus doucement abordable ; elle le marie avec la nature en la prenant pour cadre.
Et afin que l'habitude ne diminue point le respect qu'elles doivent nous inspirer, afin que notre admiration ne cesse d'être réservée, le statuaire a élevé ses figures sur un piédestal qui en double la hauteur. Elles portent sur la terre, mais sans y toucher. Nous les voyons ainsi toujours près de nous, mais toujours au-dessus de nous, de manière que leur beauté nous accoutume à elles, mais en nous tenant à distance. Elles deviennent familières en restant vénérables. Le piédestal est l'image de leur supériorité, la marque de leur destination et de leur grandeur.

Charles Blanc, Grammaire des arts du dessin, architecture, sculpture, peinture : jardins, gravure en pierres fines, gravure en médailles..., Paris, H. Laurens, 1908, p. 333.