Ou, pour finir, puisqu'il y a un instant, j'ai dit qu'il y avait cinq façons pour nous d'aboutir à nos fins, nous pourrions t'assaillir alors qu'oisif, tu vas dans un jardin admirant maints nus magistraux, qu'un Girardon ou un Coustou, un Gimond un surtout un Rodin jadis sculpta. Il nous suffirait alors d'avoir sous la main un cric pour qu'à un instant opportun, la radiation du boulon donnant au bloc colossal son aplomb provoquât ton annulation.
— Nul n'a jamais dit qu'Arthur Wilburg Savorgnan n'avait pas d'humour, dit aussitôt Arthur Wilburg Savorgnan. J'applaudis donc à ton final sursaut d'imagination. Mais au cas où tu voudrais mon avis, j'irais t'avouant mal voir la façon dont tu pourrais, ici, à l'instant, hic & nunc, m'obscurcir. Car, soyons stricts : il n'y a ici ni ananas conflagrant, ni cordon nodal, ni oisillon radioactif, ni gala japonais, ni Rodin basculant !
— Nous goûtons fort ton subtil distingo, dit, glacial, Aloysius Swann. Mais j'ai sur moi un outil qui vaudra tout ça !
Il sortit son Smith-Corona. D'un trait, il raya Arthur Wilburg Savorgnan qui s'affaissa, mort.
Georges Perec, La disparition [1969], Paris, L'imaginaire Gallimard, 2017, p. 302-303.