— Par ici ! dit Jacob.
En suivant sa voix, Strawl parvint au pied d'un pin géant, haut de cinquante mètres et vieux d'un demi-millier d'années. Jacob se trouvait déjà dans l'arbre, trois mètres au-dessus de sa tête. Strawl se hissa grâce à une branche robuste, puis en atteignit une seconde, un peu plus haute. Au-dessus de celle-ci, une marche avait été taillée à la hache dans le tronc lui-même, puis une branche élaguée permettait de poser le pied. Jacob lui montrait le chemin à suivre. Entouré par les senteurs du pin, Strawl escaladait l'arbre de l'une à l'autre de ces branches que Jacob avait amputées pour en faire des degrés. En certains endroits il avait cloué des chutes de bois en guise de barreaux d'échelle, et une corde de chanvre pendait, à portée de main, au cas où ils glisseraient. Les mains de Strawl le brûlaient. La résine et la sève lui collaient aux doigts et aux paumes. Au-dessus de lui, il entendait Jacob poursuivre son ascension, et vers l'est le soleil enflait par-dessus l'arrêt de la vallée. Une demi-heure plus tard, le paysage devint gris, puis brun, et prit une teinte dorée sous la lumière. Ils s'approchait de la cime de l'arbre. En contrebas, le fleuve scintillait comme une poignée de piécettes sur un trottoir. Le bruit du fleuve ne cessait jamais. Même à cinquante mètres de haut, il battait comme les pouls que propulserait un cœur fait d'une matière qu'il ne pouvait imaginer.
Jacob, silhouette en forme de haricot agitant un bras, lui fit signe. Il était perché sur un banc qu'il avait construit là-haut. Il se glissa pour laisser une place à Strawl. Le siège était long, et les branches qui le surmontaient privées de leurs feuilles.On ne sait comment, Jacob avait réussi à emporter le bocal de gnôle, aussi. Il but, soupira, puis tendit le bocal à Strawl, qui déclina son offre une fois encore.
(…)
— Les assassinats dont on parle, dit Jacob, je pourrais très bien en être l'auteur. Ça n'aurait rien de surprenant.
Strawl confirma.
— Un homme qui installe un banc aussi haut dans un arbre, on peut s'attendre à tout de sa part.
Bruce Holbert, Animaux solitaires [2012], trad. Jean-Paul Gratias, Paris, Gallmeister Totem noir, 2017, p. 198-200.