Considéré comme le lien entre le monde abstrait et ardu de la science et la vie courante, le design semble permettre une traduction essentielle de la technologie. Partagé entre le rôle de chantre d'une technophilie qui laisse entendre qu'il existe une solution technique à tous les problèmes et l'idée selon laquelle la technique ne transforme pas simplement l'homme, mais qu'elle devient l'homme ; en reflétant sa volonté de maîtrise absolue et en postulant que tout est objectivé et asservi au dessein humain, le design a longtemps oscillé entre technophilie et technophobie. On a décrit ce paradoxe avec le streamline où une mise en scène élégante le dispute à un art de la dissimulation et du lissage des fonctionnements techniques et autres rouages par des "capotages". Il tente de gommer les inquiétudes de chacun face à la complexité technologique et ses conséquences. Technophilie révérée par les Modernes ou domestiquée par les designers du streamline qui instaurent une culture technique inédite par la séduction des volumes profilés et aérodynamiques, le design américain de l'entre-deux-guerres parvient à concilier l'innovation technique et les angoisses technophobiques. Cette translation par le design de la science et des révolutions technologiques vers le quotidien tangible des gens est liée à l'emploi de nouveaux matériaux, qui permettent, comme ce fut le cas avec les tubulures de métal utilisés par Marcel Breuer pour son mobilier par exemple, de réinventer de nouveaux langages et usages, mais surtout de faire en sorte que les propriétés techniques nourrissent une manière inédite de penser.
Alexandra Midal, Design, introduction à l'histoire d'une discipline, 2009, Paris, Pocket Univers Poche, p. 190-191.