Comme il était animé par des intérêts contradictoires, il ressentait l'activité artistique comme une contradiction : "Je crois que j'ai tendance, suite à une conscience politique du monde, à ne vouloir donner que des informations objectives sur le monde. D'autre part, j'ai une tendance naturelle au narcissisme, à la subjectivité, à m'exprimer moi-même…, et c'est cela que j'entends cacher."
Cela se manifeste le plus nettement dans les œuvres où "M.B.", la fameuse signature de Broodthaers, occupe une fonction centrale, signature à laquelle il avait déjà voulu consacrer un poème durant les années quarante. Plus tard, en 1962, il rencontra l'artiste italien Piero Manzoni, qui avait alors une exposition à Bruxelles. À cette occasion, Manzoni appliqua sa signature sur le corps de Broodthaers, déclarant qu'il constituait une œuvre d'art authentique. Afin de souligner la signification de son geste, il délivra simultanément un certificat d'authenticité : "This is to certify that Marcel Broodthaers has been signed by my hand and therefore is to be considered as an authentic work of art for all intents and purposes as of the date below." Par des actions de ce genre, Manzoni prouvait sans doute qu'on pouvait faire de l'art sans produire effectivement quoi que ce soit, mais non sans que cette "non-production" ne soit confirmée comme œuvre d'art. La production et la certification se révèlent des concepts interchangeables.
Anna Hakkens, "Permettez-moi de vous présenter… Marcel Broddthaers", in Marcel Broodthaers par lui-même, trad. Marnix Vincent, Gand/Paris, Ludion/Flammarion, 1998, p. 22-23.