La noblesse de Dehors venait de sa démesure même. Qui pouvait dire "Mon Dehors" ? Personne. Sauf à rire. Le Dehors ne pouvait appartenir à quiconque et le gouvernement lui-même n'avait jamais songé à se l'approprier. Trop immense, trop changeant, trop violent : ingérable. Une vraie sauvagerie de rocs, d'éclats d'aérolithes et de cratères brisés à coups de météores, avec des dalles saignées au sable sec, des collines brutes striées au râteau des vents cosmiques et, face au ciel, les crêtes, déchiquetées d'ammoniac et de gel. Espaces perdus… Le Dehors était irrécupérable : à cause des ouragans cosmiques, à cause des pluies de météores incessantes, à cause des vapeurs de Nox… à cause de tout. Les sondes de cartographie que le gouvernement y lançait régulièrement ne revenaient généralement pas, soit que le Nox les bouffât aux trois quarts, que les trombes de vent les projetassent au sol, soit qu'on ne savait pas trop… Celles qui revenaient donnaient de toute façon des cartes inutilisables. La définition la plus claire que les pouvoirs avaient finalement donnée au Dehors tenait en un mot : Zone. Et ce mot était le plus grand sac qui enveloppait tout, qui ne cherchait surtout pas à décomposer cette complexité mouvante de formes et de forces qui, au reste, était pas Cerclon : un non-Cerclon si l'on voulait. Un non-lieu… un non-lieu pour tous les délinquants, les tueurs et le fous furieux. Pour tous les voltés dont j'étais.
Ici régnait l'espace, le désert minéral sans bordure, une immensité qui ne prenait humaine dimension que par la trace, précaire, des pas — et le mouvement. Arpenter. Vagabonder, bondir, vagabondir pour exister !
Alain Damasio, La zone du dehors, Clamart, La Volte Folio Gallimard, 2007, p. 32-33.