Eddy reste seul, allongé. Il sait bien, pour le Face to Face, il a compris la fille, ils sont pareils. Il sait la relance du monde à chaque saut, à chaque impulsion de pied sur la pierre, comme une figure libre qui ferait le pari de la transcendance inversée, il sait le corps débordant et désorienté qui reconquiert un autre espace, un autre monde à l'intérieur du monde ; non pas la chute, donc, le truc grisant de tomber comme une pierre, mais ètre contenu dans le ciel, dans la mer, là où tout croît et s'élargit, et devenir le monde soi-même, coïncider avec toute ce qui respire, et que ce soit intense, rapide, léger, il sait tout cela, il en connaît les dangers, le tourbillon, la nausée, les yeux révulsés, la tête à l'envers.
Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy, Paris, Folio Gallimard, 2008, p. 60.