Ce qui est certain, c'est que le Dehors, je ne viens pas le visiter comme un parc, pour y faire une balade ! Je viens le chercher en moi, ici, parce qu'il est d'abord en nous, avant d'être cette sauvagerie qui nous donne le goût d'être et de nous battre ! Le Dehors, c'est l'intime vent, court, vif, qui flue au fond de nos tripes. Il circule en nous, il serpente entre tous nos atomes de matière, accélère, décélère, jaillit, donne du rythme, agite ! Et la matière cherche à la calmer, à le mettre en cellule, veut le bloquer, le fait buter. Elle fixe. Elle assigne. Si elle bouge, c'est comme le sang, par les réseaux établis. Alors que le Dehors, qui vient de nulle part, eh bien va partout, court-circuite les réseaux, il lie ce qui ne l'a jamais été : les reins aux seins, la bouche aux mains, les mains au monde… Il nous aère. Il nous troue le ventre, le cœur. Creuse le crâne. Et chaque fois qu'un vide se fait, que ça se déchire du dedans pour s'ouvrir, même un tout petit peu, alors passe un vent, quelque chose fuit, qui fait appel d'air, ça vit. Ce que je viens chercher ici, c'est cette sensation que l'espace prolifère en moi, comme un cancer qui ferait sa propre place, avec de l'air. Le Dehors entre, m'ouvre, il météorise, il oxygène et ainsi se forme la pensée, ainsi la sensation, lorsqu'elle est neuve et inouïe.
(…)
Il faudrait pouvoir sans cesse s'articuler avec l'extérieur, comme toi. Se déloger à coups de latte de son égocentre et de ses petits soucis — bondir hors de soi. Je suis "hors de moi", la plus belle des expressions. Colère et ouverture. Toi tu y arrives, je crois, parce que tes désirs sont en prise avec la face fluide des choses. Ton corps vit, échange. Tout peut y entrer et sortir.
Alain Damasio, La zone du dehors, Clamart, La Volte Folio Gallimard, 2007, p. 41-42.