Le Dehors : avec son fouillis de cratères, sa terre rouge et ses rochers rares, je ne connaissais aucun paysage, même en crevassant ma mémoire, traquant ce que mon adolescence sur Terre y aurait pu graver, qui en égalait l'éclat brut et rugueux. Par comparaison, le dedans — Cerclon — cette coquette prison construite au compas, lisse et aplanie, notre bonne ville de Cerclon avec sa gravité constante, son oxygène homogénéiquement bleu qui suintait des turbines, ses tours sans opacité, ses avenues sans ombre, blanches de la peur des angles morts, Cerclon, petite enclave sur astéroïde inhabitable, petit miracle technologique pour vie humaine possible, je n'en avais jamais supporté la putride sagesse, encore moins l'architecture bonasse, cette ergonomie du confort, glissante et flasque, qui rendait les corps amorphes à force de facilité, à force d'évidence et d'humanité. Le Dehors était simplement la vérité de cet astéroïde : 99% de sa surface. Le monde tel qu'il avait été, incohérent, âpre et vital, un sol à ridiculiser un siècle de topologie, une couleur de sang vieux, troublée de brume, de lèvre sombre, de vin lourd, avec cette mobilité du vent dans la poussière et cette apesanteur anarchique, qui vous montait parfois l'estomac à la gorge et qui vous faisait le pas leste.
Regarder le Dehors, rien de moins reposant, de plus éloigné de la contemplation tant l'atmosphère y était instable, le sol agité, les pierres en mouvement, la couleur incertaine. Pourtant, j'y puisais à chaque fois une sorte de paix, de joie active qui me poussait à y aller, quel que fût le danger, à y revenir et à y emmener ceux que j'aimais.

Alain Damasio, La zone du dehors, Clamart, La Volte Folio Gallimard, 2007, p. 15-16.